De souvenirs en avenir | Lizzy et Lucrezia

Il y a deux jours tu t’es levée bien décidée à... A quoi d’ailleurs ! Grande question ! A vider la maison ! Ce n’est pas un nettoyage de printemps. Ce n’est pas un rangement comme les autres. C’est un inventaire de plus de quinze ans de vie commune. Dix-huit ans d’existence plus exactement ! Plus de la moitié de ta vie ! Il t’est impossible d’imaginer comment une vie est possible après elle. Pour l’instant, tu te reconstruis physiquement. Pour le mental, tu en es très loin. Tu vides la maison et tu vides ton esprit en même temps. C’est du moins l’idée qui a germé dans ta tête. Si tu ne croises pas ses affaires en permanence peut-être que ce sera moins difficile. Tu emballes dans des cartons des tas de choses, mais tu sais que tu es loin du compte. Elle est dans ta tête, dans ton coeur. La plus grande partie du matériel photographique, tu l’as confiée à Mylo. Une partie des vêtements a disparu des armoires. Il reste une montagne de jeux vidéos, des consoles, tu as prévu d’en laisser pour la fille d’Inisis. Il reste... tellement d’objets, de souvenirs...

Des photos d’école, tout un album. Tu le feuillettes. Tu t’installes machinalement sur le canapé et tu tournes les pages. Tu souris devant un trio de garçons jouant les gros machos, des copines de classes, des bouilles enfantines de personnes qui sont toujours tes amis, d’autres qui ont quitté la région. Oh Thomas et Megan ! Et David ! Mon dieu ! Tu te rends compte que Kat te mitraillait à l’époque. Elle aimait déjà la photo. Et toi ! Tu ne te souviens pas d’avoir déjà vu cet album. Il tourne autour de toi, il y a une image de toi à chaque page, toi et ceux que tu côtoyais, des amis de ta femme aussi. Oh mais c’est Lizzy ici. Et celle-ci ? Et celui-là ? Tu cherches les noms. En panne ! C’est qui cette fille ?

Dans un naturel que personne d’autre que toi peut avoir dans un tel moment, tu sors ton téléphone pour appeler Lizzy et tu la branches direct sur ce qui te tracasse à cet instant comme si elle était en face de toi. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Tu aurais pu commencer par dire “bonjour”, mais non, droit au but... Lizzy, c’est qui la fille blonde avec le débardeur jaune qui en montre beaucoup trop avec un short coupé beaucoup trop court aussi ? Tu veux un café ? J’ai envie de faire des crêpes.

Pauvre Lizzy, qu’elle ait prévu d’occuper sa fin d’après-midi à corriger des copies, ne t’est pas venu à l’esprit, prise que tu es dans ton tourbillon. Mais cette fille quoi ! Tu ne te souviens absolument pas d’elle. C’est un problème.

Tu passais ton après midi à corriger des devoirs, et à rêver. Tu penses à ce mariage que tu es entrain de préparer. Tu rêves de ce mariage depuis des années. Il y a cependant un petit goût amer. Il est vrai que la mort de Katej ta meilleure amie a laissé quelque chose. Tu voulais qu’elle soit ta demoiselle d’honneur, qu’elle soit là pour ton enterrement de vie de jeune fille. Mais tu dois faire sans malheureusement. Mais c’est pas pour ça que tu veux le préparer avec tristesse. Parfois le soir tu exploses et tu pleures encore sa disparition, et c’est normal, le deuil n’est pas fait. Heureusement tu as ta famille et tes amies pour te soutenir. Quand tu vois le numéro de Lucrezia s’afficher sur ton portable, tu décroches immédiatement. Elle te fait rire avec son ton. Elle parle de toi, sur une photo, avec une blonde. Ça doit être Presley sans doute … dit elle. Presley est partie. Elle n’a pas supporté tout ça, a rencontré un mec, tu ne sais pas vraiment, mais le fait est tu te retrouves seule, sans meilleure amie. Prépare la pâte, j’arrive ! dit elle. Tu es très gourmande, tu ne seras pas contre quelques crêpes. Malie les adore aussi, ajoute-tu. En effet, tu amènes ta fille avec toi, ça vous permettra d’avoir une bouffée d’air et de jeunesse si jamais les deux dépriment trop. Tu as beaucoup d’admiration pour Lucrezia, tu la trouves forte et courageuse. Tu ne survivrais sans doute pas si tu perdais Hunter, tu le sais. Déjà quand vous vous êtes séparées, tu n’étais plus toi-même, alors le perdre pour de vrai, sans possibilité d’arranger les choses, ça te détruirait. Mais tu en dois pas dire des choses comme ça devant Lucrezia. Tu dois être forte, tu dois te contenter d’être présente pour ton amie. Car oui elle est ton amie aussi, et tu vas sans doute te rapprocher d’elle. La perte, le manque peut vous rapprocher, vous pouvez vous aider mutuellement à remonter la pente. Tu prends ta voiture, ta fille, et arrive chez Lucrezia. Tu sonnes, une bouteille de soda à la main.

Tu obtiens rapidement la solution à l'énigme. Lizzy, habituée au feu follet qu'était ta femme, comprend ces manques de détails qui transforment parfois les situations en quiproquo, justement avec les gens qui se perdent dans le fil de l'histoire. Elle capte tout de suite dans quelle direction tu es partie et te répond. C'est tellement évident maintenant qu'elle l'a dit. Presley. Tu te sens même ridicule de ne pas y avoir pensé. Ce sacré trio !

L'avantage avec Lizzy, c'est qu'elle est là quand il y a besoin. Elle l'était pour Kat, et elle le reste pour toi. Oui parce qu'en fait la liste de tes propres amis est limitée. Le contraire de Katej qui fonçait et se liait avec tout le monde. Avoir Lizzy est une aubaine. Alors tu souris quand elle t'annonce qu'elle arrive, qu'elle amène Malie qui sera ravie pour les crêpes. Tu te rends compte que ce coup de téléphone était largement plus pour rompre le silence de la maison que pour avoir une vraie réponse. Quoique, tout de même savoir qui était sur cette photo est important. Je vous attends. Soyez prudentes sur la route. Tu te mords la lèvre d'avoir ajouté cette phrase qui depuis l'accident fait partie de tes craintes. Prenez votre temps, y'a pas urgence. Tu essaies de te rattraper par une formule qui laisse paraitre moins le danger et la peur.

A peine raccroché, tu abandonnes l'album sur le canapé et file à la cuisine. Toujours prévoyante, les ingrédients ne manquent pas. Tu te lances dans la préparation de la pâte sans plus attendre. Tu connais la distance entre les deux maisons. Tu estimes le temps que ça va prendre pour qu'elles arrivent. Quand tu as fini, tu attends. C'est stupide, mais tu fais les cent pas dans le salon. Maudite angoisse. Elle te viens dès que tu sais quelqu'un auquel tu tiens sur la route. Alors quand on sonne, en trois enjambées tu es à la porte et tu prends Lizzy dans tes bras pour l'accueillir. Un geste excessif mais incontrôlable. Tu la lâches et recules d'un pas. Un grand sourire sur les lèvres. Super, que vous soyez venues. Entrez. J'espère ne pas avoir interféré dans tes occupations. Je m'en voudrai. Tu embrasses Malie au passage. C'est toi qui fait sauter les crêpes ! Tu pousses un soupir de soulagement et les entraines jusqu'à la cuisine.