if we’re in each other’s dreams, we can play together all night | Agatha

✿ Un petit soleil. C'est ce qu'a l'impression d'être Agatha lorqu'elle enfile son imperméable jaune. Alors elle ne le quitte jamais ou presque. On lui dit souvent que ça jure avec sa chevelure et qu'elle devrait s'abstenir, mais voilà : elle adore être au sec, comme les cactus qu'elle élève. Et le temps du Wyoming lui donne souvent raison sur ce choix.

✿ Si la rouquine peut parfois paraître grognon, elle est toujours ravie d'avoir une conversation intéressante avec quiconque lui en donne l'opportunité. Et les journées les plus jolies sont celles où les inconnus lui rendent son sourire dans la rue.

✿ Présidente du Club des Chaussettes orpheline, Agatha prend sa tâche très au sérieux. Elle rassemble toute la documentation scientifique sur le sujet et ne quitte jamais son écusson « CCO » qui attire plus d'une question.

✿ Appuyer sur l'interrupteur quatre fois, toucher quelque chose avec la main gauche si la main droite l'a effleuré, faire attention à ne marcher que sur les lignes blanches lorsqu'elle traverse un passage piéton... Agatha a un tas de tocs et de superstitions. Ça lui gâche un peu la vie, mais ses proches s'y habituent, la plupart du temps.

✿ Fille de boulangers, Agatha a longtemps hésité à se lancer dans la même carrière pour reprendre le commerce quand ses parents voudraient passer le flambeau. Mais la pensée de passer ses matinées entière dans un fournil l'enchantait assez peu et l'appel de la nature l'a emporté.

✿ Tête en l'air et rêveuse, Agatha passe beaucoup de temps à imaginer scénario et histoires, parfois jusqu'à en être émue et se mettre à pleurer sans raison. Rassurez-vous : il y en a toujours une, logée au fin fond de son imaginaire fécond.

✿ C'est sans doute lié au fait que son grand-père lui a raconté des tas de légendes écossaises dans son enfance, mais Agatha a développé une fâcheuse tendance à croire en un tas de choses. Et particulièrement aux aliens. Elle est passionnée d'astronomie et elle en est certaine : nous ne sommes pas seuls dans l'univers et tout le monde doit être au courant.

✿ Agatha a un faible : les pâtisseries accompagnée de thé. Si vous souhaitez lui soutirer des informations, il se pourrait que le moelleux d'une madeleine et la chaleur d'un thé à la rose la distraient assez pour qu'elle se laisse aller à quelque confidence.



Agatha lâche un soupir. Et si elle n'y arrivait pas ? Alors qu'elle attache ses cheveux en une queue de cheval négligée, son regard parcourt sa chambre au ralenti. Et si elle ne voulait pas y arriver, surtout ? Dans la pénombre, la rouquine s'assoit en tailleur au milieu de la pièce et attire sa vieille valise à elle. Elle a vingt-deux ans, désormais. Il est temps.

Son bagage est déjà rempli de ses vêtements et de quelques livres. Agatha attrape un épais bouquin posé sur ses pulls pliés avec soin, et ne peut réprimer un sourire. Son grand livre sur les plantes, offert par ses parents il y a plus de dix ans. Peut-être avaient-ils compris que leur aînée ne se sentait bien qu’en présence de végétaux. Qu’elles semblaient l’écouter et l’apaiser, quand les autres enfants de son âge ne la comprenaient pas. Qu’en leurs présences, ses nombreux tocs disparaissaient. Parfois, la rouquine se demande si elle aurait choisi cette voie, si ces parents ne lui avaient pas offert ce livre. Et la réponse lui vient toujours instinctivement. Qu’aurait-elle pu faire d’autre de sa vie que s’occuper avec amour et dévotion de ses plantes, de toute façon. Effleurant les reliefs de la couverture du bout des doigts, Agatha range finalement le précieux livre dans sa valise, bien protégé entre deux pulls en laine. Elle devrait peut-être en laisser un à Primrose. Car aura-t-elle le temps de lui en tricoter un nouveau avant le début de l’automne, une fois qu’elle aura commencé sa nouvelle vie ? Agatha l’espère. Si elle laissait sa sœur attraper un rhume, elle ne se le pardonnerait jamais. Et puis, si la rouquine adore les aiguilles des cactus, elle est aussi devenue accro à celles qui lui servent à coudre et tricoter. Elle trouvera le temps d’en confectionner un pour Prim. Peut-être qu’elle en fera aussi pour ses parents et Kit, leur chat roux. Et elle reviendra ici leur redonner, dans cet appartement d’enfance qu’elle s’apprête à quitter.

À la lueur de la pleine lune, Agatha continue sa tâche avec soin. Elle prend soin de plier chaque chose symétriquement, de faire en sorte que rien ne dépasse de sa valise. Parfois elle fredonne un air de variété, avant de se souvenir qu’elle a décidé de partir au milieu de la nuit et que tout le monde dort, sous ce toit. Elle décide à contre-cœur de laisser son cerf-volant ici. Son bagage est trop petit, et Primrose en fera un meilleur usage. Si elle ne peut emmener l’objet, Agatha emporte avec elle le souvenir des après-midis entier à dompter le vent du Wyoming avec sa sœur et les copains du quartier. Quelques minutes plus tard, la jeune femme est prise d’un rire nerveux en rangeant son journal de bord du Club des chaussettes orphelines. Avec ce déménagement, elle est presque certaine qu’elle aura plusieurs disparitions mystérieuses à noter.

Petit à petit, son bagage se remplit d’objets qui ont fait celle qu’elle est aujourd’hui. Le cœur d’Agatha, lui, est plein d’une douce mélancolie. Elle l’a adoré, cet appartement dans lequel elle a grandi. Les effluves de pain qui remontaient de la boulangerie de ses parents, située au rez-de-chaussée. Kit intrigué par ses cactus et bondissant dans un grand miaulement apeuré quand il s’y frottait. Les tartes aux framboises de son père pour la consoler quand elle avait une peine de cœur. En refermant sa valise, les larmes montent aux yeux d’Agatha. Elle lâche un petit « zut », elle qui était très fière de ne pas avoir craqué avant. Il n’y a rien de triste à partir de chez soi. Ou peut-être un peu.

Et puis après tout, elle ne part pas loin. Quelques rues à peine. C'est qu'elle ne quitterait Montana pour rien au monde, Agatha. Mais elle a trouvé son apprentissage par elle-même chez l’horticulteur du coin, et son indépendance lui tend les mains. Un sourire aux lèvres, la jeune femme se redresse. Elle laisse son regard parcourir sa chambre dans la pénombre, sa lourde valise au bout de sa main droite. De l’autre, elle saisit enfin le petit pot qui trône sur son bureau. Phil, son bel escobaria missouriensis qui ne l'a pas quittée depuis ses six ans. Il l'a suivie. Il la suivra. Encore et toujours ici, à Montana.