(TC / LA CONFÉRENCE KEATON)

Comme beaucoup de monde Lizzy voyait passer les tracts et les affiches de cette conférence. Elle ne savait pas ce que ce Harvey Keaton voulait annoncer, mais elle n'était pas très confiante. A Montana on aime rarement les nouveaux. Ou du moins il faut qu'ils fassent leur preuve, ou qu'ils s'adaptent avant de s'imposer pour faire de grands discours. Le nouveau job de Lizzy au lycée se passait pas très bien, les élèves avaient du mal avec l'autorité, mais elle savait qu'elle y arriverait, elle n'a pas peur d'eux. Elle en a assez sur le cœur avec Katej et Lucrezia encore à l’hôpital pour s'inquiéter. Puis au contraire ça lui permettait de penser à d'autres choses. Et Chapman elle adore les nouvelles expériences et les nouveaux défis plus que tout. En sortant du lycée cet après midi, elle s'acheta un café à emporter, et alla donc jusqu'à la mairie à pieds. Elle entra, et voyait tout ce monde se balader dans la pièce principale. Certains étaient déjà assis, et d'autres serraient des mains en attendant que le discours du milliardaire ne commence.

Emily n’avait rien prévu, elle préférait d’ailleurs largement filer les ruelles pittoresques de ce coin oublié du divin, plutôt que de s’avachir sur le canapé du joueur de hockey , à se goinfrer toute la journée, en regardant des rediffusions du Jeopardy. Elle était même prête à aller à cette conférence inutile, présentée par un certain Keaton, plutôt qu’avoir l’occasion d’admirer le superbe brushing volumineux d’Alex Trebek, en se demandant si dans le prochain épisode, elle aurait ou non droit à la moustache grisonnante. Sa décision prise, elle avait bifurqué sur l’avenue principale, pour entreprendre le chemin qui la mènerait au buffet gratuit que les dépliants et autres flyers vantaient, en petite police étroite, en bas , bien à gauche et que seuls des regards vifs  ( comme le sien, un regard d’escroc) pouvaient distinguer. Elle croisa la voisine, l’espèce de vieille chouette impertinente qui ne ratait jamais une occasion de lui offrir une œillade puant la suspicion ; Tulipe prit soin de lui adresser le plus beau sourire stocké chez les enseignes Stecker, avant de poursuivre sa route, de cette démarche chaloupée ultra travaillée qui sublimait ses longues jambes . Du haut de ses échasses de grand créateur (offertes par un ancien pigeon), elle dominait l’américaine moyenne emmitouflée dans sa doudoune achetée soldée chez Wal-mart. C’était le Wyoming, l’état éculé par excellence ; comment donc un milliardaire avait-il eu l’idée de venir s’enterrer là ? Les technopoles pullulaient sur la côte Est, en Californie, à la limite. Lorsqu’elle entra dans la mairie, elle se rendit compte que tout ce cirque allait surement invoquer le marchand de sable et ses sbires, qu’il lui faudrait surement un petit remontant pour survivre à un blabla qui se révélerait surement aussi grandiloquent qu’un discours d’investiture. Dire que ce dénommé Harvey Keaton avait l’intention d’ouvrir une énième usine agro-alimentaire ; de quoi refiler le cancer à toutes les âmes sur plusieurs kilomètres de portée, polluant les nappes phréatiques. Emily était certaine que dans dix ans, l’hôpital de secteur verrait le nombre de malformations congénitales exploser les statistiques. « Il y a écrit « je vous invite à boire un verre », je me demande s’il y a moyen de verser un peu d’alcool dans les gobelets du café infecte que leur machine doit servir » - lança-t-elle, apostrophant une brunette , à quelques mètres d’elle. « J’espère qu’il va se montrer bref » - ajouta-t-elle, un sourire canaille au bord des lèvres.

Ces derniers temps, Thomas n'apprécie pas les jours de repos. Il s'ennuie mais surtout, il réfléchit de trop. Ses pensées divaguent entre Lucrezia, Katej et l'horrible journée que Montana avait subie. Il préfère bosser, s'occuper des dossiers, faire la circulation; se jeter dans le boulot plutôt que de faire face à ses émotions. Son supérieur n'était pas d'accord sur ce point et avait forcé le policier a prendre congé quelques jours suite à son altercation avec d'autres hommes lors d'une soirée. Cette bagarre l'avait récompensé de quelques égratignures au visage ainsi quelques belles marques autour de l'oeil. Mais au moins, il avait pu extérioriser cette rage. Malheureusement, Thomas ne peut plus se promener dans la réserve pour se vider l'esprit et oublier cet incident. Des camions et tout leur atiraille ont fait de cet endroit magnifique un dépotoire mécanique. C'est donc tout naturellement qu'il doit se rendre à la conférence prévue, et observer cet homme insensible se féliciter d'apporter des solutions à Montana. Bullshit, voilà ce que pense Tommy de ce plan foireux. Il entre dans la pièce du rendez-vous tout en essayant d'éviter le plus de monde possible. Il n'aime pas montrer son visage dans cet état; lui qui n'a jamais posé de problèmes, lui qui est le calme incarné en situation de crise... il avait dépassé les limites le temps du bagarre pourtant anodine. Il se glisse sur une chaise au dernier rang, balayant tout de même son regard sur les personnes déjà présentes.

Je regarde la salle se remplir petit à petit. Je vois dans les regards des habitants de cette ville de la méfiance, de la curiosité. Oh ces regards, je les ai déjà vu de nombreuses fois tout au long de ma carrière. Les questions qui vont suivre je les aie entendus bien des fois et je suis prêt à les affronter ici. Partout où je suis allé, il y avait cette inquiétude aussi, puis finalement tout le monde s’y est fait. Du moins, ils ont fini par accepter. Le projet aura lieu, c’est certain.  « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs. Pour les personnes qui viennent d’arriver, je me présente, Harvey Keaton. Et si vous le voulez bien, nous allons passer aux questions. » Je m’arrête et mon regard se pose sur la foule, attendant patiemment que quelqu’un intervienne.

La politique.. Une chose qu'elle déteste. Il faut dire ce qui est. Malheureusement, elle n'a pas le choix que de s'y intéresser un minimum, ne serait-ce que pour s'informer. Après tout, celui qui ne s'inquiète et ne s'informe au sujet de la politique ne peut venir se plaindre par la suite. Théa ? Oh et bien.. On pourrait croire qu'elle est le genre de fille un brin superficielle, qui serait plus que ravie de voir débouler ici de nombreuses usines et autres centres commerciaux, mais il n'en est rien. Montana, c'est cette ville, où elle a grandit, où elle a échangé son premier baiser, tout ça, tout ça. Bien sûr, elle est partie; les études, l'envie de voyager et de découvrir bien d'autres choses, mais au fond, elle reste attaché à cette ville, alors forcément, lorsqu'elle a eu vent de la conférence Keaton et de son projet, sa curiosité a été piquée au vif. C'est donc, sans grande surprise que Miss Hepburn pointe le bout de son nez, pile poil au moment au Harvey Keaton prend la paroles. Oups ! Et la porte de claqué derrière elle. « Désolée.. » Qu'elle souffle, murmurant, la mine confuse. Et de se frayer un chemin ensuite, afin de gagner un siège pile à côté de Thomas, qu'elle n'a pas encore calculé. Décidément !

Depuis quelques jours, tout le monde n’avaient que ce nom-là à la bouche. Harvey Keaton. Un nouveau promoteur qui ne désirait que s’enrichir encore plus, au détriment des réserves naturelles de la région. Montana était tout ce qu’il y avait de plus campagnards, de plus sauvage. C’était sa beauté, sa richesse. Mais une richesse qui ne se compte pas un billet de banque ou en lingot d’or. Une richesse humaine et ancestrale qui n’en est pas une aux yeux de ses avares de pouvoirs ! Aujourd’hui il y avait un meeting, un point d’information et de débat à ce sujet. Surement des plus houleux à son avis puisque peu de personne devait soutenir ce projet. Il aurait dû retrouver Lizzy plus tôt mais en quittant la caserne ce matin, il s’était rendu compte qu’un idiot, pour être poli, lui avait creuvé les pneus de sa voiture ! Un contre temps majeur qui l’avait mis en retard. Si bien qu’en arrivant enfin sur place, il fut soulagé de voir autant de monde présent. Les habitants s’investissaient pour leur ville et voir cette communauté solidaire ne pouvait que faire sourire et rendre fier n’importe qui ! Il entra aussi discrètement que possible et chercha sa fiancée du regard, mais à la place il aperçut Thomas, au dernier rang. Il le rejoignit et s’installa à ses côtés, tout en lui donnant un petit coup dans l’épaule pour lui signaler sa présence. Qu’est-ce que j’ai manqué ? ». Le débat avait déjà commencé. Il regrettait que sa meilleure amie n’ait pu être présente. Protectrice de la nature par tous les moyens possibles, elle s’y serait donné à cœur joie. Une pensée qui le fit d’ailleurs sourire.

Le regard rivé sur ce cher monsieur Harvey Keaton, Thomas est impatient de pouvoir observer comment il va s’en sortir avec les questions qui lui seront destinées. Bien que le policier ait des tonnes de remarques désobligeantes à lui faire, il n’a aucunes questions à lui soumettre. C’est pourquoi les méninges de Tommy fonctionnent à plein régime, cherchant une interrogation salée à exprimer. Le claquement de la porte d’entrée le tire de ses pensées, un sourire amusé se lit sur son visage lorsqu’il aperçoit Théa. Elle et la politique ne sont pas très copains et pourtant elle est venue. Elle s’installe d’ailleurs à ses côtés mais ne semble pas l’avoir remarqué. Ça l’amuse d’autant plus de la voir dans son petit monde. Thomas lui donne un petit coup de coude avant d’ajouter sur un ton humoristique Je ne savais pas que tu t’étais mise à la politique !
Un jeune homme intervient, et puis c’est autour de Susan. Thomas était certain de la retrouver à cette réunion. Après tout, son métier sera certainement malmené par les actions de ce Harvey Keaton. C'est pourquoi les habitants doivent se soutenir, bien trop d'enjeux sont compromis. Ils doivent défendre leur belle Montana?
A peine quelques instants plus tard, c’est à son tour de recevoir un coup d’épaule. Il parie sur Hunter, et son pari est gagné lorsqu’il entend la voix de son ami. Pas grand chose pour le moment. Je te présente le gros riche sans cœur.  Dit-il tout en désignant le conférencier d’un geste du menton. Si tu as des questions, c’est le moment !

En entrant, elle a bien évidemment aperçu quelques têtes connues, dont celles de Susan à qui, elle adressa un petit sourire avant de se laisser choir sur son siège. Thomas ? Oh et bien, elle ne le capte que lorsqu'il l'assène d'un léger coup de coude. « Aïe ! » C'est murmuré, et bien entendu, cela sonne faux. C'est juste histoire de le faire culpabiliser, un peu. « Simple curiosité de ma part. Je préfère toujours les politiciens de la fashion week ! » Qu'elle lui rétorque, tout autant sur le ton de l'humour que Tommy vient de le faire. Elle plaisante; quoique.. Quand on y songe, la mode et Théa.. Une grande histoire d'amour. Non, plus sérieusement, si sa mère avait été encore en vie, elle aurait été présente ici, à défendre elle aussi les terres de Montana, c'est donc un peu pour elle, que Théa est là aujourd'hui. Elle se tait alors, écoute les différentes interventions, dont celles de ce jeune homme et Susan. Ils ont totalement raison. La réserve est en endroit protégé, comment est-ce que la mairie peut-elle prendre partie de cet homme ? C'est une question qu'elle se pose. Elle s'apprêtait d'ailleurs à l'ouvrir, quand Hunter le chasseur - surnom débile qu'elle lui avait donné depuis de nombreuses années à cause de son prénom - fit irruption de l'autre côté de Thomas. Elle se pencha alors légèrement vers l'avant, et de côté, avant d'ajouter suites aux paroles de Thomas. « Sans coeur, mais belle gueule, faut dire ce qui est. » Elle les observe, à tour de rôle, histoire de d'observer leurs réactions, prête à lâcher un petit rire. « Oh c'est bon, ça va, je plaisante. Je plai-san-te. » Ajoute-elle, non pas sans rouler des yeux. « Mhm hm.. » Elle s'éclaircit la voix, puis se redresse, à son tour. « La question que je me pose, Monsieur Keaton, si vous permettez, est de savoir pourquoi vouloir sacrifier des terres qui sont des espaces protégés de Montana, plutôt que de construire votre usine ailleurs ? De ce que je sais, il y a de nombreux hectares de libres au sud de la ville, ou bien, du côté de Cheyenne. »

Beaucoup de personnes étaient venues défendre Montana. Ça faisait sourire Lizzy. Elle salua à son tour Mylo, Susy, et tous les autres qui arrivèrent autour d'elle. Au départ, elle était debout, un peu en retrait. Elle n'avait pas envie d'être la première à affronter le milliardaire. Plutôt sexy, mais quelqu'un que tout le monde déteste en ville. Bien que certains fassent les bien pensant pour se faire bien voir, mais sont ravis de voir la nature de notre campagne se faire démolir. Un grand sourire s'afficha sur le visage de la belle Chapman lorsqu'elle aperçut Hunter entrer et aller s'asseoir à côté de Thomas. Elle fit un signe de tête à ses camarades, avant de rejoindre son fiancé. Pardon, pardon … c'était difficile d'accéder à une chaise à côté de lui, beaucoup monde avait pris place. Des yeux noirs se posèrent sur une fille assise à côté de lui. C'est ma place … dit Lizzy d'un ton assez hautain et pas très sympa à cette fille qui n'hésitait pas à mettre ses jambes proches de celles de Hunter. Elle sourit à son fiancé, assis, qui n'y était pour rien. La jeune femme, écouta Lizzy et se décala. Lizzy victorieuse s'installa alors. Un petit signe à Thomas et Théa. Elle posa son bras sur l'épaule de Hunter et lui souriait. Elle avait envie de rire de cette situation, mais préférait pour le moment écouter le débat. On va pas le laisser faire … chuchota Lizzy à sa place, les yeux rivés sur la scène.