Franchir les portes de la ville (rp ouvert à tous)

Cher Monsieur Klein.
Sans réponse de votre part depuis trop longtemps, j'ai pris la décision de vous rendre visite. Si la chance m'accompagne, j'arriverai avant cette lettre... J'aurais le bonheur de vous trouver... Je relis vos lettres en faisant route. Toutes ces années en votre compagnie sans connaitre la couleur de vos yeux, c'est une bien étrange chose... A très bientôt, mon ami.

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Bulletin météo. Actuellement il neige sur Montana et les températures ne dépassent pas les 1°C en journée.

Un panneau indiquant l’entrée de la bourgade. Une route enneigée. Et surtout la tempête qui n’en finit pas de fouetter le marcheur solitaire. Enseveli sous des couches de vêtements, un gilet de sécurité jaune fluo pour souligner que la forme est humaine, un passe-montagne rouge ne laissant qu’une ligne pour voir où vont les pas, un sac à dos obèse. Avancer est pénible. Par chance, il n’avait pas eu à faire les 30 miles entre Cheyenne et Montana, un routier bienveillant l’avait avancé au plus près. Mais c’était encore bien loin. Le vent et le froid usent ses forces. Un roseau plie, un homme tombe. S’il tombe, il sait qu’il ne se relèvera pas. Alors il se penche, titube, se bat, marche dans un automatisme sans rien céder à l’abandon.

Les premières maisons. C’est une victoire, de celles qui ne comptent pas, parce qu’il n’y a pas de trophée à remporter, mais une victoire quand même. Il marche. Il a froid. Tellement froid que ses yeux en pleurent. Ils ont peut-être gelé. Peut-être que sa jambe droite va se figer aussi, le sang transformé en pierre. Il ne sent plus ses mains. Peut-être n’en a-t-il plus. Il n’ose pas vérifier. S’il ne les trouvait plus, il aurait peur, alors non, il ne cherche pas ce qui se trouve au bout de ses bras repliés sur sa poitrine. C’était dit, le pied gauche n’arrive pas à décoller du sol. Il est planté dans la neige. Trek a le regard tout aussi figé sur le bout de la chaussure. Un petit bout de papier pointe son nez entre neige et cuir. C’est un réflexe de survie, quand on trouve un truc, on le ramasse et on voit si ça peut servir. L’homme va chercher sa main planquée au chaud sous son aisselle. Le gant de laine farfouille dans la neige, récupère le rectangle humide et le glisse dans sa poche.

Arrivé dans une ville inconnue, par un tel temps, ne laisse pas la possibilité de se lancer dans une visite touristique. Pour en avoir discuté avec le chauffeur, il sait qu’il y a une gare. D’ailleurs, depuis la cabine du camion, il a repéré les rails qui suivent la route. C’est sa direction, il remonte la rue pour atteindre le lieu, sans faire attention aux gens qu’il croise, aux voitures qui roulent lentement. En fait, ce n’est pas son corps, c’est son cerveau qui est en hypothermie.

La gare, c’est le plus simple pour se poser, là, maintenant, parce que de toute façon, il ne pourra pas aller plus loin. Il pousse la porte, s’engouffre à l’intérieur et veille à refermer avec précaution. Il y a toujours des courants d’air dans les halls de gare, mais au moins il n’y a plus cette poudre blanche qui transforme l’humain en bonhomme de neige. Il se déleste de son sac, le pose au sol et le rejoint dans un affalement d’épuisement. Montana. C’est ici. Il est arrivé à destination. Maintenant il a la tranquillité pour inspecter sa trouvaille de tout à l’heure. Il la regarde, il la tourne dans tous les sens, n’en croit pas ses yeux. Un billet de banque ! Est-ce que la chance aurait décidé de le prendre sous son aile ? Faut y croire, bonhomme, faut y croire ! En tout cas, le moral est remonté d’un cran.

Une voix sort le bonhomme de sa réflexion face à l’image monnayable. En un éclair l’objet sacré disparait dans sa poche. Un objet trouvé est un objet qui a eu un propriétaire par le passé. C’est le pire scénario, trouver quelque chose et se le faire reprendre avec un “C’est à moi”. Surtout quand il s’agit de quelque chose de valeur et ce billet, dieu sait qu’il en a de la valeur. Trek a tenté de calculer, diviser en jours, multiplier en repas, ajouter une nuit dans un motel de bas étage pour profiter d’une douche et d’un lit, retirer un passage par la laverie, un achat de paires de chaussettes. En faisant attention au moindre cent, il envisageait de faire durer ce billet pendant un mois et peut-être plus s’il récoltait, entre temps, un peu de monnaie en dessinant.

Il regarde le jeune homme qui l’a interpellé. Est-ce qu’il est de ceux-là qui viennent bousculer les vieux qui trainent leurs semelles sur le bitume jour après nuit ? Est-ce qu’il viendrait voler le peu de bien qu’il possède ? Est-ce qu’il est un danger ? Il en a vu des jeunes braillards tabasser sous les ponts ceux qui ne disaient rien. Celui-là a un beau langage, il fait plaisir à entendre. Le temps est mauvais pour celui qui n’a pas de toit. Trek lève la tête vers le plafond qui protège les personnes en attente du train. On a la chance avec nous, la neige reste dehors. Y’a qu’le courant d’air qui s’invite de trop. Faut faire avec, vraiment. Trek se penche pour jeter un oeil en direction du panneau qui indique le retard, puis vise son interlocuteur sans bagage. Même pour lui, c’est dur d’avancer. Il sourit. Patience, il arrivera.

La conversation pourrait s'arrêter là. Deux univers se sont croisés, frôlés, une ébauche de contact, ils peuvent repartir sur leur lignes distinctives. Le black se surprend à entamer autre chose. Il a envie d’être curieux aujourd’hui, histoire de se réchauffer au moins les méninges. Du train, est-ce qu’il descendra une jolie fille pour se jeter à ton cou ? De la famille qui vient en vacances ? Un cadre supérieur auquel tu dois des comptes ? Le garçon, il attend quelqu’un, ça Trek en est sûr, mais qui ? Il a envie que ce soit une jolie fille qui revient de l’université, une petite soeur, ce serait bien. Il l’imagine cette petite trimbalant une grosse valise, la laissant sur le quai pour se jeter dans les bras fraternels, comptant sur ces muscles pour prendre le relai pour trainer le poids lourd. Il ne jouerai pas une pièce dessus, parce qu’il n’a pas les moyens de perdre, mais imaginer c’est gratuit.